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Misère du Désir ... extrait du livre d'Alain Bonnet ...

 

 


                                            Misère du désir.

     " Autre vérité cachée, dans le combat coûteux pour la conquête des femmes, le mec ne fait qu’en chier. Dans cette lutte, aucune égalité. Pour la femme, si elle n’est pas trop moche, séduire ne demande aucun fonds, juste attendre et disposer. Pour le mec au contraire, tout n’est qu’investissement hasardeux et travail.
Osons la vérité : le garçon voit la fille, il la trouve désirable, troublante. Il est ému, son petit cœur bat. Intimidé, il faut qu’il aille lui parler, l’air à l’aise, souriant, malgré la castration qui plane, l’humiliation du « non ».


     La fille peut l’avoir vu aussi, mais à ce stade ça ne change rien, statut oblige, elle sait qu’elle doit dissimuler. Seul à tout assumer, neuf fois sur dix le bonhomme renonce, submergé par la peur et l’enjeu ; ensuite, il ruminera durant des heures son « j’aurais dû », se traitant de trouillard et de pauvre con. Vous connaissez ? Il trouve en lui la force de commettre cet acte de courage ? Bien. Poursuivons son parcours de misère. Sept fois sur dix, la fille l’envoie chier par un « je suis pressée » un peu sec, un  « vous n’y pensez pas ? » outré. Pourquoi ? Par principe, pavlovisme, simple souci du « quand dira-t-on ».


     Un peu plus sûre d’elle ou curieuse elle accepte de dialoguer ? C’est déjà un petit miracle, auquel succède immédiatement l’angoisse de jouer contre la montre, avec ce début d’espoir qui noue, tandis qu’elle se contente de minauder. Vite, pendant le peu de temps où il est possible de marcher à ses côtés sans que ça devienne lourd, malsain, ridicule, il doit meubler, proposer... – On va boire un café ? – Pas le temps. – Alors votre téléphone ? Mademoiselle... En admettant qu’elle lui ait donné ce sésame, ce numéro magique qui lui offrira... quoi ? Une seconde chance de lutter, à l’aveugle cette fois, pour un rencard qu’il faudra proposer, encore proposer... avant de vivre dans l’attente... et la peur du lapin.


     Que s’est-il dit au téléphone ? Peu importe, qu’il l’ait joué poète ou flambeur, la conversation s’est conclue par une invitation à dîner. Les restaurateurs, sociologues par la force des choses comme les chauffeurs de taxi, vous diront que leur métier tourne à 90% grâce aux femmes... à séduire. Sans cette obligation qu’ont les hommes d’emmener les filles à dîner dans des lieux pas trop glauques avec une autre idée en tête, neuf établissements sur dix fermeraient, les types libérés du sexe préférant plutôt bouffer entre potes à la même cantine.


     Admettons maintenant qu’elle ait daigné le rejoindre dans le fameux restaurant pseudo-chic ou branché, qu’elle n’ait pas coupé court sous prétexte de résister à la tentation, condamnant sans remords le pauvre mec, qui a déjà beaucoup rêvé, à jouer le poireau qui compte les minutes, puis les heures, humilié et haineux ; malheureux au fond de son cœur comme le gosse que sa mère a oublié d’aller chercher à l’école et qui reste abandonné, seul, sous le préau et le regard des autres. « Salope ! »


     Admettons qu’elle arrive, avec retard bien sûr, vingt minutes minimum, c’est la règle pour rester féminine. Lui qui désespérait il y a trois secondes doit instantanément se remettre à sourire, plaisanter, essuyer discrètement ses mains moites et proposer : – Vous buvez ?


     Proposer toujours, et payer, tandis qu’elle jouit de ces attentions, l’air de rien, comme un dû. Son but à lui bien sûr c’est de l’amener au lit, au moins la prendre dans ses bras, et c’est à ça qu’il pense, rien qu’à ça. Il y pense tellement qu’il n’a plus d’appétit tandis qu’elle picore ce plat délicieux – à vingt euros du bout – en l’écoutant, faussement intéressée, faire son numéro de con cultureux. Elle aussi sait très bien où il veut en venir, elle entend sous les poncifs "cinéma et actualités" la petite question qu’il se pose : comment l’emballer ? Lui proposer de boire un verre ailleurs ? Club, boîte, où bien sûr il repayera avec le sourire, tandis qu’elle continuera à faire la belle ?


     La ramener chez elle en lui demandant sur le perron, mi angoissé, mi détaché : – Je peux monter boire le dernier verre ? Elle sait tout ça, et tout le reste, mais pour l’instant elle jouit de la situation, des pleins pouvoirs de celle qui se sait désirée ; qui n’a pas dit « oui » mais qui n’a pas dit « non ».


     À ce stade, une fois sur deux quand il veut l’enlacer au pied de son immeuble, après ces longues heures de palabres, elle le repousse sous prétexte qu’elle ne le « connaît pas assez », qu’elle « préfère qu’ils restent bons amis » ou qu’elle « a déjà quelqu’un... et qu’il faut lui laisser le temps » (sous-entendu « je suis fidèle, mais si tu sais attendre je pourrais me montrer plus salope ». D’accord, mais quand ?).

     Alors frustré mais gonflé d’espoir, il remballe, les poches vides et les couilles pleines, se répétant que « ce sera pour la prochaine fois ». Une prochaine fois qui ne viendra pas, pour peu qu’elle réfléchisse entre temps que « le jeu n’en vaut pas la chandelle », qu’elle « n’a pas trop aimé ceci ou cela » et qu’elle « vaut mieux que ça ».
Juste un peu plus soûle, elle accepte de le laisser monter ?
     Après l’avoir bien entendu prévenu que « c’est très en désordre » et qu’elle « n’a rien à boire », lui avoir fait promettre qu’il « ne restera que quelques minutes parce qu’elle doit se lever très tôt demain matin »...


     S’il répond : – Mais oui bien sûr, en tout bien tout honneur et se retient de lâcher « ça fait quatre heures que je rame, que je paye, que j’espère, et je vais juste monter cinq minutes pour boire un verre d’eau tiède parce que j’adore monter les escaliers », le voilà dans l’appartement, récompensé pour ce joli parjure. Il faut encourager la morale.
     Arrivé au terme de cette course infernale, sa tension monte encore d’un cran et tout reste à faire. Elle, comme si de rien n’était, batifole, range, lui cherche à tout prix ce fameux verre à boire, alors que ce dont il a le plus envie – en second –, ça serait plutôt de pisser.
     Elle parle, parle... de tout sauf d’eux et du désir.


     Elle parle de sa déco, de son chat, de ses photos de famille, là, sur le mur... et lui, qui ne veut surtout pas passer pour un goujat, fait semblant de s’y intéresser. Le temps passe, le compteur tourne, sa tête va éclater, il se dit que si elle l’a laissé monter c’est qu’elle sait bien qu’il va tenter quelque chose... Il n’est pas venu expertiser le mobilier...

     Mais il hésite encore, parce que là, chez elle, à ses côtés, tout près, il est déjà sur un petit nuage... Fondre sur elle si près du bonheur ? Et si elle se détourne, comme elles savent si bien le faire, avec la main en repoussoir, mi choquée, mi dégoûtée, le regard plein de « Oh ! quel dommage, vous avez fait la faute, tout était tellement parfait jusqu’à présent... sans ce petit franchissement de ligne blanche, au dernier tournant, je remplissais le petit bordereau rose et vous l’aviez votre permis, à l’instant... mais là, il va falloir repasser, désolée ».
     Ô douleur ! Ô déception terrible ! Tout ce boulot anéanti !

 

     Alors tout près, tout près, il hésite encore, se torture, et elle continue de minauder. « Osera, osera pas ? », un brin perverse, elle se demande comment elle va daigner réagir à sa tentative. Elle n’en sait rien elle-même, elle verra selon qu’il s’y prend bien ou pas... s’il a du métier. Il le sait aussi, alors malgré la tension, l’extrême angoisse, il s’efforce d’être à l’aise, easy... Mais la nuit avance, son verre est vide. De sa bouche, bêtement, sortent maintenant des : – Bon, ben... je vais y aller... » dans l’espoir qu’elle le retienne.

 

     Mais elle ne fait rien, la belle, ce n’est pas son boulot à la reine d’un soir de driver. Elle le regarde de la berge se débattre pour ne pas se noyer. S’il s’en sort, il aura sa récompense, le petit bisou, comme le preux chevalier à l’issue du combat s’il a bien occis tout son monde. Sinon, malheur au vaincu. Plouf ! au mauvais nageur.


     Là, si le mec est un peu amoureux, un peu tendre, submergé par l’enjeu, il part sans avoir rien tenté pour lui prouver tout son respect. Et bien sûr elle le méprise, l’impuissant, de n’avoir pas su la prendre au pied du lit. S’il rappelle, le gentil minus ? – gentil mais minus – croyant l’avoir méritée ? Pas sûr qu’elle lui donne une seconde chance. Ce qu’il prendra, puceau, naïf, pour une terrible injustice. Cruelle loi du désir, où les femmes jusque là mènent la danse..."

                                                                                                        

Par Alain Soral.

 

Tag(s) : #Sociologie conjugale.
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